Pont-Aven
PONT-AVEN, rendez-vous des artistes 10 juin 2016 « J’irai l’été prochain me mettre à l’auberge dans un trou de Bretagne faire des tableaux et vivre économiquement…. » Gauguin La Bretagne prend une place de choix dans la peinture au début du XIXe à la faveur du goût de l’Histoire et des traditions celtes mis en valeur par le mouvement romantique : paysages, fêtes et scènes de genre constituent des sujets de prédilection. Dans les années 60, Eugène Boudin, qui séjourne souvent à Douarnenez, est sensible à la lumière et aux intérieurs bretons ; il est suivi par de nombreux artistes las de Barbizon. La vogue de Pont-Aven a été lancée par les artistes américains, Henry Bacon, Robert Wylie, Charles Way : dans les années 1860, plusieurs peintres s’y retrouvent, attirés par les paysages de Bretagne, les traditions fortes, les costumes pittoresques. Quand Robert Wylie s’installe à Pont-Aven en 1865, il y trouve déjà une douzaine d’artistes dont sept Américains, deux Anglais, deux Français. La situation géographique du village, entre Quimperlé et Concarneau, l’originalité de sa petite vallée où l’Aven coule bruyamment entre les chaos rocheux, l’animation marchande entretenue par les nombreux moulins et les quais où accostent les trois mâts, tout contribue à l’attraction du site ; s’y ajoute la réputation d’accueil du village où trois hôtels ouvrent leur porte aux artistes, l’hôtel des Voyageurs, tenu par Julia Guillou qui reçoit les peintres américains et les touristes anglais , le Lion d’or où se retrouvent les Français et, pour les moins fortunés, la Pension Gloanec, renommée pour son bon marché et sa convivialité. La pension de Marie-Jeanne Gloanec, sanctuaire de Gauguin ; une plaque commémorative posée en 1939 rappelle le nom des artistes fondateurs de l’Ecole de Pont-Aven : Paul Gauguin, Emile Bernard, Charles Laval, Henri Moret, Ernest de Chamaillac, Madeleine Bernard mais plusieurs proches de Gauguin ont été oubliés. Juin 2016. Les articles de presse, les récits de voyage, la notoriété de l’américain Wylie et l’exposition posthume de ses œuvres à Paris en 1878, la venue de peintres parisiens comme Léon Germain Pelouse, paysagiste de Barbizon et l’affluence des paysagistes anglais font de Pont-Aven un pôle de la création artistique ; vers 1885, une centaine d’artistes résident à Pont-Aven. La physionomie de la bourgade change, Pont-Aven est devenue une grande ruche artistique. Julia Guillou agrandit son hôtel des Voyageurs en faisant construire l’annexe, aujourd’hui site du nouveau musée. Marie-Jeanne Gloanec acquiert l’auberge du Lion d’or, près de l’annexe de Julia Guillou. Plusieurs villageois font « chambre d’hôte » ou atelier improvisé. Les murs des auberges se tapissent d’estampes laissées en hommage ou en souvenir, comme à l’auberge du Père Ganne à Barbizon. Le journaliste Edgar Courtois évoquait en août 1885, dans des termes sans doute excessifs, l’atmosphère très particulière du village: « Pont-Aven n’est plus qu’un immense atelier de peinture en plein air. On ne peut pas faire un pas sans marcher sur un vieux tube défoncé, des raclures de palettes, sans rencontrer un morceau de papier Wathman barbouillé de couleurs. Ce n’est du matin au soir qu’une longue procession de bicycles, tricycles conduisant les peintres et les peintresses à leur travail en plein air ou dans les chaumières où ils vont peindre des intérieurs bretons. » C’est dans cette ambiance bohème qu’arrive Gauguin en juillet 1886, sur les conseils d’un ami peintre, Armand-Félix Jobbé-Duval. Pour la peinture, il a quitté son emploi d’agent de change, il vient de vendre sa collection de tableaux pour soigner son fils, sa femme Mette et ses enfants sont repartis à Copenhague. Il est à la recherche d’un nouveau langage pictural. Musée de Pont-Aven, salle à manger de l’annexe de l’hôtel Julia avec ses boiseries d’origine, autrefois décorée des estampes des artistes pensionnaires. © Juin 2016. A la pension Gloanec, Gauguin loue l’une des chambre mansardées donnant sur la place pour un prix plus que modique, il y croise les peintres Charles Laval, Ferdinand du Pingaudeau, Henri Delavallée, Henri Schuffenecker qui, comme lui, avait préféré la peinture à la finance, et quantité d’Américains . Il dessine et peint les bords de l’Aven, les bois environnants, les jeunes qui se baignent entre les chaos, les chaumières, les costumes bretons, les lavandières, de nombreuses études. La Bretagne de Pont-Aven, sa nature simple et rustique fascinent le maître. S’il quitte le village en octobre1886, il y revient en janvier 1888, après un séjour au Panama et à la Martinique : l’hiver sévit et chasse les artistes, il est malade et désargenté, pourtant il écrit à son ami Schuffenecker : « J’aime la Bretagne, j’y trouve le sauvage, le primitif ; quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j’entends le ton sourd mat et puissant que je cherche en peinture. Gauguin, Les Lavandières à Pont-Aven, 1886, 60,4 x 73,3 prêt du musée d’Orsay au nouveau musée de Pont-Aven (cl. Wikimedia) En 1886, Gauguin est encore assez proche de Pissarro. Au fil des mois, il rencontre des peintres intrigués par la nouveauté de sa démarche : Emile Jourdan, Henri Moret, Emile Bernard, une période charnière, féconde en échanges et en créations dont Vision après le sermon. Puis Gauguin rejoint Van Gogh à Arles, jusqu’à la crise de démence de ce dernier, il revient à Paris mais l’attraction bretonne reste la plus forte : au printemps 1889, il retrouve, pour la troisième fois, Pont-Aven, la pension, le manoir et l’atelier de Lezaven, Nizon, la chapelle de Trémalo, c’est l’époque du Christ Jaune, du Christ Vert, de la Belle Angèle. Au bout de quelques mois, Gauguin s’éloigne au Pouldu, où il a des admirateurs et disciples. Après un long séjour à Tahiti, Gauguin revient à Pont-Aven en mai 1894 avec sa compagne Annah et sa guenon ; il est blessé au cours d’une algarade sur le port de Concarneau et retenu de longs mois. Les tracasseries judiciaires, la perte sensible de son aura auprès de ses disciples le font regarder de nouveau vers Tahiti et les Marquises où il passe ses dernières années. Pont-Aven, entre terre et mer, entre avant-gardes et traditions, village inspiré où l’on aime flâner, imaginer, au milieu des galeries, des chaos bruyants, des moulins muets, dans les rues encore peuplées de grandes ombres et de silhouettes mystérieuses.