ABBAYE N-D de CLAIRMONT
L' abbaye cistercienne de Clairmont (303.92 Ko)
par Mme Nicole Coïc
L'ABBAYE CISTERCIENNE DE CLAIRMONT
Une histoire mouvementée
Située dans un paysage de forêts et d'étangs, sur la commune d'Olivet en Mayenne, cette abbaye est le plus grand monument cistercien de l'Ouest de la France. L'ordre cistercien est un ordre monastique de droit pontifical qui apparaît au Moyen Age comme une réalisation remarquable d’un idéal monastique rigoureux axé sur la prière, la pauvreté, le silence et le travail ; l’ordre cistercien joue un rôle de premier plan dans l'histoire religieuse du XIIème siècle.
Fondée en 1152 par saint Bernard, avec le soutien des seigneurs de Laval qui en ont fait leur nécropole, Notre-Dame de Clairmont a compté jusqu'à 300 moines. En 1226, elle a présidé à la fondation d’une abbaye-fille, Notre-Dame de Fontaine-Daniel en Mayenne.
Au XVIème siècle, pendant les guerres de Religion, moines et convers se réfugient à Laval. A partir de 1506, l’abbaye est mise en commende : les commendataires essaient d’accaparer les revenus de l’abbaye et entrent souvent en conflit avec les abbés réguliers. Parmi les prédateurs, figure le cardinal Robert Guibé, évêque de Rennes puis de Nantes, grand amateur de bénéfices ; un autre personnage célèbre, Pierre Lescot, l’architecte du Louvre, reçoit l’abbaye en commende de 1558 à 1577 et se contente de prendre une partie des rentes[1]. Que reste-t-il aux moines ? Les religieux demandent à pouvoir s'entretenir et ils obtiennent quand même la moitié des revenus. Ils arrivent à reconstruire une partie de l'abbaye. Mais le nombre de moines, déjà très diminué, se réduit à 5 à la Révolution et en 1790 les religieux font part de leur désir de sortir du monastère.
Sous la Révolution le monastère devient un bien national. Il est aménagé temporairement en prison pour moines réfractaires en 1808. En 1855, on envisage que l'église abbatiale soit la cathédrale de Laval avec ses 65 mètres de longueur et ses 18 mètres de largeur, mais elle trop éloignée de la ville. Puis l'abbaye est rachetée par une famille mayennaise pour devenir une ferme et exploitation agricole au cours du XIXème siècle.
Un regard qui sauve ?
Au cours des siècles, l'abbaye s'est dégradée et elle a bien besoin de bienfaiteurs. En l'occurrence c'est sous l'aspect de bienfaitrices qu'en 1938 deux demoiselles artistes, vierges consacrées, Mademoiselle Denis et Mademoiselle Blanchot, originaires de Paris, engagent des transactions pour acheter la propriété. « J'ai vu un clocher qui m'a fait signe » aurait dit Mademoiselle Denis, passant aux abords du monastère dans un train reliant Paris à Brest. Restaurer ces ruines ? Un grand défi à relever !
Les transactions traînent, l'abbaye se dégrade et en 1945, à Pâques, le clocher de l'église s'effondre. En 1954, le propriétaire fait une proposition de vente moyennant 500 000 francs. Une SCI est créée dans laquelle les demoiselles gardent 65% des parts et distribuent le reste.
Peu à peu, l'abbaye commence à se relever grâce à l'investissement de toutes leurs économies. De jeunes bénévoles œuvrent à la restauration du monastère. L'abbaye de Clairmont obtiendra le premier prix des chefs d'œuvre en péril, prix remis par André Malraux, pour les actions de sauvegarde du patrimoine français.
En 1979, décès de Mademoiselle Denis qui laisse tout le patrimoine à Mademoiselle Blanchot qui s'éteint en 2006 à l'âge de 95 ans. Soixante-cinq parts sur 150 seront données. L'abbaye est léguée à la fondation des monastères mais le legs est refusé. Ce sera une période de dix ans de gérance. En décembre 2016, un accord pour une SCI morale est trouvé car le bien appartient à l'association créée. La DRAC de Nantes a réalisé un diagnostic et un rapport provisoire a été édité récemment. L'étude a porté sur le bâtiment des convers et l'abbatiale.
L’histoire de l’abbaye s’écrit toujours : aujourd'hui, l'association des Amis de Clairmont qui existe depuis 1953 se donne pour vocation « de fédérer les amis de cette ancienne abbaye qui remonte au XIIème siècle en se focalisant sur tout ce qui peut aider à la sauvegarde, la restauration, l'entretien, la connaissance et l'animation du lieu, tout en restant fidèle à son histoire et à son identité cisterciennes. » Et l’abbaye redevient édifiante, au fur et à mesure que nous déambulons dans la nef, l’ancien cloître, le réfectoire qui vient de retrouver des verrières légèrement teintées, comme ceux de la nef : une réplique des premiers vitraux cisterciens volontairement non historiés, uniquement décorés de rinceaux.
Des bâtiments à nouveau impressionnants
L'abbaye conserve de son passé monastique une grande partie de ses bâtiments d'origine, classés Monuments Historiques : l'église abbatiale, le cellier et le réfectoire des frères convers, la porterie.
L'église abbatiale, au chevet plat orienté plein Est, symbole cistercien, a été remise en état : gros œuvre, charpente et toitures. Le chevet lumineux est éclairé par six baies en plein cintre disposées sur trois niveaux, rappel trinitaire. Le clocher tombé a été remplacé par un clocheton. Les fenêtres, les arcades et les chapelles murées respirent à nouveau. Un pavage recouvre désormais le sol du chœur, des transepts et des chapelles, les autels retrouvent leur place et les verrières diffusent une belle lumière irréelle.
La nef, 65 m, et le chevet trinitaire
Dès sa construction au XIIème siècle, les dimensions impressionnantes de cette église romane bâtie en forme de croix latine montrent bien d'une part la nécessité d'une taille en rapport avec l'idéal de la construction cistercienne et le nombre de moines, d'autre part l'importance du temps de prière pour les moines qui obéissent à la règle de saint Bernard dans un esprit de pauvreté et d'obéissance au père abbé. Ils se consacrent principalement à la prière et à l'étude. Ils sont vêtus de blanc, sont rasés et ne parlent pas : un monde de silence et d’intériorité !
Le bâtiment des frères convers, fratres conversi, ou frères lais, laici barbati, a lui aussi été dégagé et remis en état. Ce bâtiment était occupé par ces religieux arrivés à l'âge adulte et pour la plupart illettrés. Ne sachant ni lire ni écrire, ils étaient autorisés à parler. Ils avaient moins d'obligations religieuses que les pères mais s'occupaient des tâches matérielles.
Ils étaient artisans ou agriculteurs, soumis au cellérier qui s'occupait de l'intendance de l'abbaye d'où l'importance du cellier de par sa taille et sa conception. Le cellier et le réfectoire, dans un même bâtiment, bénéficient de belles voûtes en schiste qui reposent sur des colonnes de granit. Le dortoir des convers est situé à l'étage de ce bâtiment.
La porterie, antique entrée au nord de l'ensemble, a vu son pignon Est consolidé et ses deux fenêtres du XIIème siècle mises en valeur. Les autres parties ne sont pas restaurées : les communs, transformés au XVIème puis XVIIIème siècle sont en ruine. Le bâtiment des Pères, transformé au XVIIème siècle, sert aujourd'hui de salle d’accueil ; l’histoire du relèvement des ruines y est exposée.
Enfin, la cour du cloître, grande cour carrée autour de laquelle s'articulent les différents bâtiments, a perdu depuis fort longtemps sa galerie en bois d'origine. Une petite partie a été reconstruite en pierre. Le tout forme une très belle bâtisse au sein de laquelle on imagine fort bien la vie exigeante et la spiritualité du monastère. Un beau patrimoine à faire valoir, c’est ce à quoi s’emploie Christophe Marrant, notre guide conférencier qui fait, pour ainsi dire, corps avec l’abbaye puisqu’il a participé à toutes les phases de restauration depuis 1967 et qui lui donne aujourd’hui un second souffle, une « âme ».
Nicole COÏC
[1] Naveau Jacques, Le Patrimoine de la Mayenne, SAHM, 2013 p 177
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Date de dernière mise à jour : 09/08/2022